Quand le concept s'impose dans l'espace public...

... l'art trouve refuge sur la toile ; à l'exemple du musée virtuel de Nicole Esterolle qui est un exemple de plateforme en ligne dédiée à la mise en lumière des courants artistiques multiples, souvent relégués dans l'ombre des institutions officielles. En effet, ces espaces créatifs, réduits à la clandestinité, sont souvent des foyers de diversité et d'innovation artistique qui méritent d'être reconnus et célébrés. Ce musée en ligne – qui dénombre pas moins de cent cinquante visiteurs par jour – tourne résolument le dos à la monolâtrie institutionnelle de la république française en matière d'art.
Il incombe parfois au promeneur urbain de face à face à un de ces artefact sans rime ni raison désigné sous le mot valise d'art contemporain. Un lapin géant. Un bouquet de fleurs en plastique, signé Jeff Koons. Devant ce genre d'artefacts d'essence conceptuelle le quidam est bien souvent saisi par un sentiment oscillant entre amusement et stupeur. Il peut avoir l'impression d'être pris en otage par une sorte d'idéologie qui ne dit pas son nom. En le mettant à demeure de trouver "cela" beau, le quidam dira que de tels logos sont "intéressants". Dès lors, quelque chose du "ça" de notre temps a déjà remporté une bataille symbolique contre la beauté.
Le "ça" a remporté un bataille, mais pas la guerre. Prenons les mots poncifiés du quidam au pied de la lettre : l'art conceptuel est, en effet, un des phénomènes de la modernité parmi les plus intéressants qui soit. Un des plus emblématiques, sans doute aussi, du moment historique de notre temps. On reconnaît en effet une communauté, un pays, une patrie, à sa production artistique, un peu comme on reconnaît un arbre à ses fruits. Objets de controverses à couteau tiré entre partisans et détracteurs, les artefacts conceptuels jouissent, en France, d'une hégémonie culturelle sans équivalent dans le monde. Le terme par lequel on le désigne le plus souvent, art contemporain, est déjà l'objet d'une bataille sémantique acharnée. Quoi qu'il en soit, cet art conceptuel s'impose dans nos espaces publics en dehors de toute consultation citoyenne. Mieux, un réseau de deux cent fonctionnaires d’État, inconnu du grand public, attribue des brevets de respectabilité aux artistes de leur choix, doublés de subventions léonines. Ces inspecteurs de la création forme une sorte de clergé culturel décrétant ce qu'est l'art et ce qu'il n'est pas. La religion de ce clergé a un messie, Marcel Duchamp ; un totem, l'art conceptuel ; et un objectif : installer dans le cerveau collectif de la nation le logiciel des valeurs sociétales. Ainsi, passé aux filtres de critères plus idéologiques qu'esthétique, comment cet art ne pourrait-il pas refléter les facétieuses arcanes de la société du spectacle ?

L'art comme réplique et miroir de la société

Dans notre conception, l'art fait toujours réplique - au sens sismique du terme - de ce qui se passe dans le substrat phréatique de la société. Ce qui s'observe dans la galaxie muséale n'est donc pas un fait sociétal comme un autre, mais un hiéroglyphe, une écriture cryptique qui aurait trouvé, en la personne de Aude de Kerros, son Champollion. Reflet du turbo-capitalisme dévoreur de peuples, certains artefacts semblent, plus que d'autres, refléter le hiéroglyphe de l'homo-economicus interchangeable. C'est dire l'importance des rumeurs et des controverses entourant l'art et le musée. Ce sujet est clivant et miné. Dans les années 90, Pierre Soulage comparait déjà le point de vue de Claude Levi-Strauss sur la peinture moderne à celui des "régimes totalitaires". Réponse du célèbre ethnologue : Si le totalitarisme est d'un côté, ce serait plutôt celui de la peinture d'avant-garde, avec le colossal appareil commercial et politique qui l'impose.
En entrant sur ce terrain miné, le risque est grand de donner crédit aux arlequinades de quelques bourgeois parisiens en mal de reconnaissance symbolique. Si vous critiquez l'art conceptuel, vous entrez dans le camp des réactionnaires et des complotistes ; a contrario, si vous ne le critiquez pas, vous demeurez dans celui des hypocrites et des collaborateurs du système.
En 2023, ce Totalitarisme sans le goulag est devenu le titre d'un essai remarqué. L'auteur, Mathieu Bock-Côté, qui démonte un à un les arguments de ce néo-totalitarisme, reste cependant muet quant à son incontournable hiérogryphe : l'art conceptuel. Notre propos est de placer la question de l'art conceptuel à l'aune d'un octave de compréhension autre qu'esthétique. Pour nous, l'art conceptuel pose une question qui n'est pas seulement d'ordre esthétique mais anthropologique. Au demeurant, avons-nous vraiment besoin de mettre l'aspect esthétique de l'art conceptuel entre parenthèses ? Celui-ci s'en charge très bien tout seul. Le homard géant de Jeff Koons pendu au plafond d'une salle du château de Versailles, nous intéresse moins comme œuvre d'art qu'entant que miroir social. Et c'est là l'essentiel. Reste à nous interroger sur les tenants et les aboutissants de telles expositions provocatrices au budget plus que léonin.

Entre exposition et imposition : l'art conceptuel

Il n'y a pas plus de rapport entre l'art conceptuel et l'art qu'entre la lumière et les trous noirs de l'hyper-espace. Étranger au secret de l'art et au musée comme temple des muses, résolument anti-traditionnel, l'artefact d'essence conceptuelle ne s'expose pas, mais s'impose comme une idéologie. En cela, il réplique le there is no alternative du néo-libéralisme triomphant. Depuis Guy Debord et sa formule-clé de société du spectacle, on ne peut en effet plus parler de capitalisme en terme d'isme parmi les autres ismes mais en tant que matrice sociétale ou Forme-Capital. Le capitalisme est, pour Debord, un spectacle, une exposition permanente que signe aussi bien les affiches publicitaires, les habits moulants du jogger du dimanche, le règne du téléphone portable, que le glyphosate poluant les nappes phréatiques. Dans les faits, il n'y a plus un millimètre-cube de l'air, du sol et du sous-sol, qui ne soit sous l'emprise de la Forme-Capital.
L'écrivain Ernst Jünger y voit le règne des géants et des titans, ennemis des dieux. Mais quelque soit l'octave de lecture que l'on applique au capitalisme, sociologique, historique, mythologique, celui-ci s'identifie de plus ne plus à un processus de réification de la nature et de l'Homme.
Quant à l'hégémonie très française de l'art conceptuel sur les autres courants d'art, elle indique que la France a cessé d'être un pôle d'attraction, une nation-atelier pour les artistes du monde entier, pour se transformer, depuis les années 80, en une nation-laboratoire.

L'art conceptuel contre les droits de l'âme 

D'essence remplaciste, l'art conceptuel tend, en France, à remplacer les autres arts, à usurper les lieux traditionnellement dévolus à l'art, à substituer la beauté par la laideur, la présence réelle, dont l'art est le signe et le mystère, par cette présence absente identifiée comme telle par Aude de Kerros. L'art conceptuel est, en France, d'une essence et d'un emploi tout autre que dans les autres pays. Il est le logo même du Soft Power de la mondialisation heureuse. À ce titre, il accompagne et à la fois reflète la transformation cybernétique de la société. La transformation des peuples de France en une société d'atomes interchangeables. Comme nous l'a enseigné Antonio Gramsci, le combat culturel précède toujours le combat politique. Une fois annihilées les défenses immunitaires d'un peuple, la méga-machine peut réduire l'humain en une variable d'ajustement économique. Une guerre culturelle qui ne dit pas son nom avec l'art conceptuel comme logo et hiéroglyphe. La guerre engagée contre l'homme enraciné ne peut en effet générer qu'un art étranger au mystère de l'art. Un art dont l'apparaître est sacrifié sur l'autel du paraître. L'art conceptuel.
En effet, quand un nombre croissant de normes administratives entravent la vie quotidienne des citoyens et que, dans le même temps, la spéculation financière ne connaît, elle, aucune limite, quelle expression voudrions-nous que prenne l'art officiel de cette société ? Reflet de l'économie comme destin, l'art conceptuel est le symptôme même des apories sociétales de notre temps. L'art sans visage s'envisage en terme de symptôme. Il n'est pas une cause mais un effet et un reflet. Selon nous, cet art relève moins d'un projet que d'un mouvement, un processus de nature cybernétique. Il ne s'expose pas mais s'impose tout comme s'impose à tous la macdonalisation de la société. Le cas de la France se distingue fondamentalement des autres pays. En effet, au lieu de nous protéger de cette transformation délétère, la république française la promeut et l'organise. Ce sont par nos impôts que l’État impose dans l'espace public les imposantes fleurs maladives de Jeff Koons.
En dépit de la tyrannie exercée par l'art conceptuel, des courants artistiques multiples et variés continuent d’œuvrer en marge des institutions officielles. Germés dans les esprits encore habités par le mystère de l'art, ces courants multiple (art brut, expressionniste, visionnaire, etc.) connaissent une visibilité nouvelle. Il suffit de feuilleter l'ouvrage L'art caché enfin dévoilé de Aude de Kerros, ou les pages du site internet nicolemuseum.fr pour nous en convaincre.

Gandharian

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